Un peu de géographie historique :
Le Cantal correspond à la partie méridionale de l'ancienne province d'Auvergne.
Nul n'ignore le rôle joué par les Arvernes et leur chef Vercingétorix au seuil de
notre histoire. Après la conquête romaine, le pays des Arvernes qui s'étendait, au
sud, jusqu'aux territoires des Gabales et des Ruthènes devint la "civitas Arvernorum".
C'est dans ces mêmes limites qu'apparaît au IIIe siècle l'évêché de Clermont, dont
le chef spirituel devait souvent, par la suite, supplanter les comtes nommés par les
rois francs à la tête du même vaste territoire. Mais dans cet ensemble très étendu
devaient immanquablement apparaître des subdivisions.
C'est ainsi qu'au milieu de l'anarchie politique et sociale de la fin des temps carolingiens,
se détachent de la nébuleuse féodale, au IXe siècle, les vastes domaines du "comte"
Géraud d'Aurillac qui, situés aux confins de l'Aquitaine et du Rouergue, sans correspondre
à une circonscription territoriale précise, présentent déjà une certaine individualité,
liée à la vigoureuse personnalité de leur possesseur.
Emergent aussi, au Xe siècle, les puissants vicomtes de Carlat, qui dominent tout
le sud des monts du Cantal jusqu'au Rouergue.
Autre lueur dans cette nuit. En 972, l'évêque d'Auvergne reconnaît comme deuxième
ville de son diocèse l'agglomération d'Aurillac qui s'est développée autour de l'abbaye
fondée avant 899 par le " comte " Géraud et décide qu'à l'avenir s'y tiendront les
synodes du clergé et les assemblées des grands pour la partie méridionale de l'Auvergne,
amorçant ainsi la future division de la province en deux parties.
Vers la fin du XIIe siècle, pour mettre fin aux luttes féodales, Philippe-Auguste
entreprit la conquête de l'Auvergne. Annexée à la couronne au début du XIIIe siècle,
à l'exception du comté résiduel autour de Vic-le-Comte, du dauphiné (d'Auvergne) et
du domaine épiscopal, elle fut donnée en apanage à Alphonse de Poitiers qui la conserva
de 1241 à 1271.
Pour le domaine et les fiefs s'étendant sur les archiprêtrés d'Aurillac, Mauriac et
Saint-Flour, Alphonse créait avant 1257 le bailliage des Montagnes.
En 1317, l'évêché de Saint-Flour était démembré de celui de Clermont.
L'habitude se prit d'appeler le pays des Montagnes le Haut-Pays ou la Haute-Auvergne.
Au XIVe siècle, la Haute-Auvergne eut ses Etats particuliers qui se réunissaient à
Aurillac ou, le plus souvent, à Saint-Flour. La division de la province en deux parties
était définitivement établie.
Avec la création de l'intendance d'Auvergne (généralité de Clermont-Riom), au XVIIe
siècle, la monarchie réunifia en quelque sorte la province qui perdit ses Etats et
fut divisée en sept élections, dont trois, celles d'Aurillac, Mauriac et Saint-Flour,
correspondirent à la Haute-Auvergne.
Mais cette tentative ne correspondait pas aux désirs des populations. Avant la réunion
des Etats généraux de 1789, les délégués du Tiers suppliaient le roi de " rétablir
ou accorder à chaque province des Etats… d'ordonner en conséquence que ceux du Haut-Pays
d'Auvergne soient distincts et séparés de ceux du Bas-Pays ".
La création des départements en 1790 répondit à ce vœu. La Haute-Auvergne, augmentée
au nord de quelques paroisses prises sur la Basse-Auvergne, devint le département
du Cantal, prenant le nom de l'immense cône volcanique qui forme sa partie centrale.
Les limites du Cantal, à l'est et au sud, restèrent sensiblement celles de l'ancienne
province. Aurillac et Saint-Flour se disputèrent l'honneur d'en devenir la capitale.
La Constituante, pour les mettre d'accord, institua un système d'alternat ; mais Aurillac
l'emporta définitivement en 1794.
Le nouveau département comprit quatre districts : Aurillac, Mauriac, Murat et Saint-Flour.
Transformés par la suite en arrondissements, ils devaient subsister sous leur nouvelle
domination jusqu'en 1926, date à laquelle l'arrondissement de Murat disparut pour
être annexé à celui de Saint-Flour. Les quatre districts de 1790 comprenaient 20 cantons
et 273 communes. Les trois arrondissements actuels sont subdivisés en 27 cantons et
260 communes.
Lors du Concordat de 1801, le siège de l'évêché fut conservé à Saint-Flour. Le nouveau
diocèse comprit alors les départements du Cantal et de la Haute-Loire. En 1823, il
fut réduit au seul Cantal.
Naissance des archives départementales :
En même temps qu'elle faisait table rase des institutions du passé, la Révolution
créa "la première centralisation moderne des archives".
A l'échelon départemental, la Constituante ordonnait de déposer aux chefs-lieux des
districts tous les papiers provenant des administrations supprimées, des communautés
religieuses, des corporations ainsi que des émigrés, non dans un but historique il
est vrai, mais afin de faciliter la tâche des services, notamment ceux des domaines
et des finances. Tout ce qui présentait un caractère judiciaire devait aller au tribunal
du district.
Un principe nouveau était acquis, celui de la mise à la disposition des citoyens des
archives devenues le bien de la nation. Le 27 décembre 1792, le conseil du département
enjoignait à celui de la commune de Siran de tenir des séances publiques et d'avoir
"un local sûr et commode pour les archives, afin que chaque habitant puisse en prendre
connaissance" (ADC, L 24).
On sait très peu de choses sur les transferts d'archives dans les différents districts
du Cantal. Quand ils se firent - et ce fut parfois un bien qu'ils n'aient pas été
faits - ce fut vraisemblablement dans le plus grand désordre. Une délibération du
directoire du district de Saint-Flour en date du 2 mars 1792 décrit fort bien une
situation qui dut être générale : "Plusieurs communautés n'ont encore remis aucun
titre ou du moins très peu de titres au directoire… La majeure partie des titres remis
au district l'ont été sans aucun inventaire des curés, corps et communautés religieuses
ou municipalités… Les occupations multiples et sans nombre dont le directoire est
surchargé ne lui ont permis jusqu'à ce jour d'employer aucun commis de ses bureaux
à l'inventaire de ces mêmes titres… Il est impossible aux commis et même aux administrateurs
de déchiffrer la majeure partie des titres réunis tant ils sont vieux." (ADC, L 594,
2 mars 1792).
Aussi les districts, débordés par l'ampleur de la tâche, pressaient-ils le département
de les autoriser à recruter des archivistes. Le département consultait Paris sur l'opportunité
de ces nominations "pour mettre en ordre les différents titres déposés aux secrétariats
de ces districts établissant les droits acquis par la nation et en former un inventaire"
(L 24, 9 décembre 1793). On reconnaît bien là les préoccupations domaniales du temps.
Aussi les premiers archivistes paraissent avoir été pour la plupart des experts-géomètres
ou arpenteurs, anciens feudistes.
De son côté le conseil du département organisait ses archives. Il rappelait le 25
décembre 1793 aux directoires des districts qu'ils étaient chargés de "faire dresser
inventaire des registres de baptêmes, mariages et sépultures déposés aux greffes des
tribunaux pour être transportés aux archives du département" (L 29, 25 décembre 1793).
La loi du 17 juillet 1793 qui supprima sans indemnité les droits féodaux et redevances
seigneuriales et ordonna le brûlement de tous les titres les concernant, dut être
accueillie avec soulagement par ces archivistes improvisés, désarmés devant les papiers
qui s'amoncelaient.
Le conseil du département reconnaît le 18 brumaire an III (8 novembre 1794) que "la
plupart des titres ci-devant féodaux ont été brûlés en exécution de la loi du 17 juillet
1793". Cependant "considérant que dans le département du Cantal il existait un ci-devant
présidial, plusieurs ci-devant bailliages, une infinité de tribunaux de justice ci-devant
seigneuriaux, plusieurs greffes supprimés et quelques bibliothèques de moines", il
estime qu'en application de la loi du 7 messidor an II (25 juin 1794) votée par la
Convention et prescrivant un triage général de tous les papiers devenus propriété
nationale, et "pour faire un bon triage et parvenir à des découvertes utiles" il conviendrait
de nommer six préposés à ce travail (L 30, 18 brumaire an III).
Ces spécialistes n'eurent heureusement pas le temps d'achever leurs éliminations.
La constitution de l'an III supprima les districts. La loi du 5 brumaire an V (26
octobre 1796) ordonna le transfert au chef-lieu de tous les titres appartenant à la
République. C'est autour de ce noyau, auquel sont venus s'ajouter successivement et
continuent à s'ajouter chaque jour les papiers des administrations nouvelles, que
se sont constituées les archives départementales telles que nous les connaissons aujourd'hui,
assurant ainsi la continuité à travers la succession des régimes et des hommes.
Cependant, dans le Cantal comme ailleurs, la loi ne fut qu'imparfaitement exécutée
et les papiers judiciaires demeurèrent dans les districts où, par la suite, ils furent
recueillis par les tribunaux d'arrondissement.
Pour la partie réunie au chef-lieu, il est vraisemblable que le désordre ne fit que
s'accentuer, car la loi avait omis de prévoir un personnel compétent. Les titres s'entassèrent
à Aurillac, dans les anciens bâtiments des religieuses de Notre-Dame, près de l'actuel
théâtre, occupés depuis peu (13 janvier 1796) par l'administration du département,
ou dans les magasins en dépendant. De la longue période d'incurie qui succéda à ce
rassemblement, l'annaliste Lakairie a donné un bon aperçu : "On m'a dit aujourd'hui,
écrit-il le 2 avril 1810, que le préfet avait fait vendre comme papiers inutiles presque
tous les papiers provenant du chapitre de Saint-Flour, envoyés dans le temps à l'administration
du département qui les entassa sans aucun ordre. Lorsque le préfet succéda à cette
administration, on les fit transporter dans une salle du ci-devant couvent de la Visitation
où ils ont été à la discrétion de tous ceux qui ont voulu y fouiller. On en trouvait
dans toutes les boutiques d'épiciers, etc. Enfin on les a vendus au papetier. On a
conservé quelques terriers, mais tout avait été pillé et on n'a pris aucun soin d'extraire
ce qui pouvait servir à l'histoire du pays. Ainsi ont été traités toutes les archives
et dépôts de titres et de livres..." (publié par Gabriel Esquer, Inventaire des archives
communales de la ville d'Aurillac antérieures à 1790, t. 2 (Aurillac, 1911, p. 325).
En septembre 1811, le préfet, baron de Lachadenède, s'installait dans la nouvelle
préfecture incomplètement achevée.
Les bureaux l'y avaient précédé en 1806, l'archiviste Henry et une partie des archives
en 1807 (nomination par arrêté du 1er décembre 1807 ; ADC, 4 K 2). Il est probable
que les abus signalés par Lakairie se produisirent lors du rassemblement définitif
des archives dans les nouveaux locaux de la préfecture où elles devaient rester jusqu'à
1880.
L. Bouyssou, " La préfecture du Cantal. Histoire d'une construction ", dans Revue
de la Haute-Auvergne, 1952-1953, p. 466-472.
L'œuvre du XIXe siècle :
On n'entend plus dès lors parler officiellement d'archives jusqu'à 1829, date à laquelle
le préfet du Cantal, répondant à une circulaire du ministre lui demandant de lui faire
connaître "les mesures prises à diverses époques pour la conservation des archives
de ce département", déclare que ses archives sont purement administratives et ne présentent
"rien d'intéressant pour la science et l'histoire". Il n'existe d'ailleurs ni catalogue
ni répertoire, cependant "la confection d'un catalogue par ordre alphabétique et de
matière pour les pièces qui présentent le plus d'intérêt paraît nécessaire. Il a été
prescrit à l'archiviste actuel de s'occuper de ce travail… Les archives de la préfecture
ne laissent rien à désirer sous le rapport du local qui est très vaste, bien aéré,
bien tenu et loin de tout point de contact avec ce qui pourrait faire craindre un
incendie... Les archivistes qui se sont succédés étaient attachés comme chefs de bureau
à la préfecture, ils n'ont point eu de traitement spécial comme archivistes, mais
il leur était accordé annuellement une indemnité de 300 à 600 F selon l'importance
des travaux d'ordre auxquels ils se sont livrés." Le titulaire est alors M. d'Ouvrier,
dont un autre document nous apprend qu'il est également préposé à la délivrance de
tambours et de casques pour la Garde nationale.
Avant de rédiger son rapport, le préfet avait mené une enquête dans le département,
à l'occasion de laquelle les sous-préfets lui avaient signalé, à Murat, la présence
de terriers ayant échappé au feu, car ils correspondaient à des terres affermées,
et à Mauriac "d'archives particulières" chez M. Deribier, dont les recherches devaient
aboutir à la publication du Dictionnaire (…) statistique du Cantal au milieu du siècle.
Il n'y avait rien d'intéressant à Saint-Flour et à Maurs, la plus grande partie des
titres de l'abbaye avait été brûlée en 1793, le reste ayant été transporté à Aurillac
(ADC, 3 T 1).
A partir de 1836, grâce à la série des rapports du préfet au conseil général, il est
plus facile de suivre l'évolution des archives départementales. On y peut déceler
leur accroissement lent et continu par strates successives, accumulées au fil des
années comme des couches géologiques, ainsi que le travail long, patient et obscur
de plusieurs générations, qui a permis de les transformer en service organisé. C'est
l'époque aussi où l'on assiste à un renouveau général de l'histoire nationale. Dès
1821 est créée l'Ecole des chartes puis Guizot fonde le Comité des travaux historiques,
tandis que partout en Europe, "sous l'influence conjointe du goût romantique et des
passions nationalistes", se développe un mouvement en faveur des études historiques.
L'histoire de ce Comité a été étudiée par un Aurillacois, Xavier Charmes, Le Comité
des travaux historiques et scientifiques (Histoire et doc.), Paris, 1896, 3 vol. de
la Collection des documents inédits sur l'Histoire de France (cote ADC : 1 BIB 541).
Tout naturellement les esprits se tournent vers les sources d'archives.
Depuis 1834 le préfet a fait entreprendre un "dépouillement extraordinaire" des archives,
confié à plusieurs employés. "Le classement des papiers est fort avancé, écrit-il
en 1836, ce qui rend faciles les recherches que l'on est obligé d'y faire journellement.
Il existe maintenant de l'ordre dans les papiers, tandis que c'était auparavant un
vrai dédale dans lequel il était impossible de se reconnaître."
Cet "important travail" terminé en 1837 entraîna une vente de papiers inutiles, dont
le montant servit à donner une gratification à l'équipe qui l'avait mené à bien.
Peu après, en 1839, apparaît pour la première fois dans l'Annuaire du Cantal un archiviste
du département en titre, M. G. Marlhiou, titulaire de la croix de Juillet. Gabriel
Marlhiou avait été nommé secrétaire général de la préfecture du Cantal par ordonnance
royale du 4 octobre 1830. Il prêta serment le 1er novembre 1830 (ADC, 1 M 7 et 10).
Ayant eu des difficultés familiales, il avait sollicité un congé et il est probable
que cette nomination ne lui fut qu'un moyen commode pour rentrer dans l'administration,
car l'année suivante le même annuaire le mentionne comme sous-chef de la 1e division.
Le 25 novembre 1841, G. Marlhiou était nommé chef de la 1ère division. Il devait le
rester jusqu'en 1866. En 1869 il reparaît au secrétariat général comme chef de division
honoraire.
Cette création de poste fut vraisemblablement motivée par l'application de la loi
du 10 mai 1838 qui mit la conservation des archives départementales à la charge des
conseils généraux alors qu'auparavant elle devait être payée sur le fonds d'abonnement,
crédit mis par l'Etat à la disposition du préfet pour ses frais de personnel et de
bureau et à peine suffisant pour les besoins courants. Peut-être aussi eut-on l'idée
de confier les archives à Marlhiou parce qu'à l'époque où il était secrétaire général,
elles faisaient partie de son service avec la "législation" et le "visa des passeports",
avant de passer, en 1834, dans celles du 3e bureau dont le chef était M. d'Ouvrier.
Quoi qu'il en soit, le précédent était créé. Par arrêté du 12 octobre 1840, le préfet
nommait conservateur des archives Joseph-Marie Audin, ancien employé de la préfecture.
Audin était aussi imprimeur-lithographe et on lui doit un certain nombre de gravures
connues. Il occupa le poste jusqu'à sa mort à Aurillac le 26 octobre 1850. Son acte
de décès porte "conservateur des archives de la préfecture, imprimeur, lithographe
et libraire".
C'est à lui qu'il revint d'appliquer les Instructions pour la mise en ordre et le
classement des archives du ministre de l'intérieur en date du 24 avril 1841, œuvre
du grand érudit Natalis de Wailly, et sur lesquelles reposent encore l'organisation
des archives françaises, à partir du principe intangible du respect des fonds répartis
eux-mêmes dans des groupes déterminés appelés séries. "M. Audin, note le préfet dans
son rapport de 1842, continue à s'occuper avec activité du classement des pièces que
renferme ce dépôt. A mesure que son travail avance, les recherches deviennent plus
faciles." Et en 1843 : "Le travail d'ordre a été terminé dans le courant du mois de
novembre, depuis, l'archiviste s'est occupé du classement méthodique par série et
par fonds."
Cependant le conseil général refuse les crédits demandés pour l'amélioration du local
des archives situé "dans les combles de l'hôtel de la préfecture", notamment l'achat
d'un poêle "dans la crainte du danger d'incendie".
La même année paraît au Recueil des actes administratifs un "Règlement pour les archives
départementales" indiquant les heures d'ouverture au public.
A la session de 1848, le préfet annonce que les inventaires des archives antérieures
à 1790 sont achevés. "Ceux des archives postérieures à 1790 sont presque terminés...
Le dépouillement des archives anciennes a exigé beaucoup de temps par l'étude qu'il
a fallu faire des anciens titres sur parchemins". Le fonds des domaines nationaux
"a été divisé en plusieurs liasses portant chacune le nom des familles et des congrégations
religieuses qui ont été dépossédées par la nation."
En octobre 1850, Joseph-Marie Audin meurt après une longue maladie qui l'avait forcé
d'interrompre son service "déjà depuis longtemps". Son successeur, Aymar, n'est nommé
qu'en août 1851 et entre temps, l'incurie s'était à nouveau installée aux archives.
"J'ai trouvé les archives départementales, note le préfet en 1852, dans le plus grand
désordre. Le local où elles sont situées, mal éclairé et impossible à chauffer pendant
l'hiver, n'a pas permis que les travaux de classement fussent entrepris avant le commencement
du printemps dernier."
Dans le courant de l'année 1853, l'archiviste se rend à Paris "pour y subir les examens
exigés par les règlements" en même temps qu'il est chargé de l'inspection des archives
communales. Il semble qu'Aymar ait pris cette nouvelle fonction très au sérieux. Il
consacre deux ans à la visite des archives des communes de l'arrondissement d'Aurillac.
En 1857, il ne lui reste qu'un arrondissement à parcourir, celui de Saint-Flour.
A Aurillac, il se plaint du manque de place et des travaux d'agrandissement du local
sont entrepris, mais, malade et âgé - il avait 62 ans passés lors de sa nomination
- il meurt avant qu'ils ne soient terminés, en 1861.
Son successeur, M. Dacier, "homme aussi distingué par ses connaissances spéciales
que par son zèle et son activité", eut à faire face à d'importantes réintégrations
de documents provenant des sous-préfectures. Pour accueillir les versements des greffes
et les minutes notariales antérieures à 1790, il tenta d'obtenir un local plus vaste.
En 1864, en application de la circulaire du 20 janvier 1854 qui prescrivait la rédaction
des inventaires des différents fonds, il faisait paraître le premier inventaire cantalien,
celui de la série C, aujourd'hui périmé.
Apprécié par l'inspecteur général et le ministère, il quitta le Cantal en mars 1866
pour aller remplir les fonctions d'archiviste des Deux-Sèvres.
Ses deux successeurs immédiats, les deux premiers archivistes-paléographes, anciens
élèves de l'Ecole des chartes (le décret du 4 février 1850 avait imposé l'obligation
de nommer aux postes d'archivistes des anciens élèves de l'Ecole des chartes), appelés
à occuper le poste, ne firent que passer. C'étaient de très jeunes hommes, sortis
respectivement de l'Ecole en 1866 et 1867 et leur passage marqua moins le dépôt que
leur originale personnalité et la destinée peu commune qui les attendait.
Jules Doinel qui arriva en avril 1866 devait, vers la fin du siècle, fonder l'Eglise
gnostique dont il devint l'évêque. Pendant son court séjour aux archives du Cantal,
il continua les travaux de ses prédécesseurs tout en taquinant la muse. On lui doit
une "cascatelle" en vers, en quatre tableaux, Les dieux à Aurillac, destinée à commémorer
l'arrivée du chemin de fer (la gare d'Aurillac fut inaugurée le 11 novembre 1866).
Parmi les personnages mis en scène figuraient entre autres le Plomb du Cantal, la
voie ferrée et les messageries d'Aurillac à Murat.
Roger Peyrefitte, dans "Les fils de la lumière" (Paris, Flammarion, 1961), présente
méthodiquement la franc-maçonnerie française. Ce roman, dont l'intrigue est inexistante,
raconte de manière enlevée les tenants et aboutissants des loges. Il indique par exemple
que la loge d'Aurillac " 'intitule Les Amis du gouvernement, pour se mettre à l'abri
des orages de la politique" (p. 116). Ailleurs, il raconte comment Léo Taxil invente
le personnage de Diana Vaughan, maçonne luciférienne convertie : "un maçon apostat
nommé Doinel, qui racontait de quelle manière l'impure déesse Isis l'avait frôlé lascivement
dans une loge Isis (…) se lança à travers la France pour découvrir Diana Vaughan dans
le monastère où elle fuyait la vengeance des maçons" (p. 27).
Emile Maupas était curieux des choses de la nature. Pendant ses loisirs, il étudiait
les algues. Un pharmacien d'Aurillac, Jean-Baptiste Rames, géologue connu par ses
travaux et ses recherches, lui conseilla de se tourner vers les protozoaires. Maupas
se livra à leur étude pendant 45 ans et devint le "prince des protozoologistes".
Pendant son séjour aurillacois, de 1867 à 1870, il fit entrer aux archives les papiers
provenant de l'élection d'Aurillac et s'attacha à l'analyse des titres de famille
de la série E. "Grâce au zèle intelligent du nouveau titulaire, annonçait le préfet
en 1868, 500 diplômes appartenant à la série E ont été analysés et cotés". Mais le
local des archives est trop exigu, les liasses s'entassent par terre, "cela milite
en faveur de la construction prochaine de l'aile latérale de la préfecture".
Charles Aubépin, nommé archiviste en 1870, quitte le Cantal dès juin 1871. Les archives
sont laissées à nouveau à l'abandon pendant plus d'un an, avant que ne soit nommé
en juillet 1872 un jeune chartiste, Camille Rivain, qui n'avait pas encore soutenu
sa thèse. C. Rivain fut nommé archiviste-paléographe en 1873 avec une thèse sur le
consulat d'Aurillac qu'il publia en 1874, Notice sur le consulat et l'administration
consulaire d'Aurillac, 185 p (cote ADC : 2 BIB 5160).
Bien entendu, il trouva le dépôt dans le plus grand désordre, s'attela au triage des
papiers inutiles, fit quelques classements et s'en alla en juin 1874, permutant avec
Charles Aubépin qui revint s'installer à Aurillac où il resta jusqu'en 1898.
On ne sait rien ou peu de choses sur Charles Aubépin, mais sa présence d'un quart
de siècle à la tête des archives du Cantal lui a permis de mettre sur pied un début
d'organisation qui servit en quelque sorte de rampe de lancement à ses successeurs,
une politique concertée et suivie valant parfois mieux que de brillantes qualités
qui n'ont pas le temps de s'exercer.
Ses rapports donnent une bonne impression d'ensemble. Longs et circonstanciés, ils
ne manquent pas de vues justes. On y trouve une mine de renseignements sur les archives
communales et hospitalières qu'il a eu le temps d'inspecter.
Dès 1876 il se plaint de l'exiguïté du local et, revenant à la charge tous les ans,
obtient en 1880 le transfert des archives dans les combles du palais de justice. C'était
loin d'être l'idéal, mais il y avait de la place et l'archiviste put faire rentrer
notamment une masse de minutes de notaires, la plus grande partie des documents judiciaires
antérieurs à 1790, ceux de la collégiale de Murat, des acquisitions judicieuses poursuivies
avec un flair certain (celle du fonds Cambefort de Mazic par exemple), ainsi que de
nombreux dons qu'il savait habilement provoquer.
En même temps, il créait la bibliothèque historique, amorçait l'inventaire de la série
E et obtenait, après de multiples tractations, l'aide d'un auxiliaire temporaire.
A son départ, le conseil général qui le considérait comme un "fonctionnaire modèle"
le nommait archiviste honoraire "pour lui témoigner sa satisfaction".
Roger Grand et Gabriel Esquer : le vrai départ
"Par une nuit d'août 1898... un jeune archiviste frais émoulu de l'Ecole des chartes,
habitué jusqu'alors aux vastes plaines liquides de la mer bretonne, s'endormait dans
le train qui, de Paris, l'emmenait vers Aurillac. Le hasard d'une vacance administrative
lui avait fait attribuer la garde des documents où gît l'histoire de la Haute-Auvergne".
Ainsi, trente ans plus tard, Roger Grand rappelait-il avec son éloquence aimable son
arrivée à Aurillac. Il n'y resta que cinq années, mais elles marquèrent profondément
les archives et la vie culturelle du département.
Dès son arrivée, il obtint un cabinet de travail décent au premier étage du palais
de justice - l'étage des magistrats - et grâce à ses doléances mordantes sur le local
affecté aux archives, il prépara leur transfert dans un immeuble que venait d'abandonner
l'administration des P.T.T. à l'angle de la place de la préfecture.
En décembre 1898, il créait la première société savante cantalienne, "La Haute-Auvergne",
dont le siège est désormais au 12, rue Arsène Vermenouze, et alimentait de nombreux
articles la revue qu'elle commençait à publier et qui, depuis, a souvent eu pour directeur
de publication ou secrétaire de rédaction l'archiviste du Cantal.
Roger Grand continuait l'inventaire de la série E et le dépouillement des archives
communales d'Aurillac, tandis qu'il poursuivait la politique des dons et réintégrations
amorcée par son prédécesseur, que lui facilitait une extraordinaire audience locale
acquise en très peu de temps.
Très attaché au Cantal, dont plus tard, devenu professeur à l'Ecole des chartes, sénateur
et membre de l'Institut, il parlait encore avec émotion, il poursuivit bien après
son départ ses travaux d'histoire cantalienne, ainsi son magistral ouvrage sur les
Paix d'Aurillac, paru en 1945, ou son ouvrage sur le château et la famille d'Anjony.
Dès son arrivée à Aurillac en 1903, Gabriel Esquer recueillait les fruits du talent
de son prédécesseur. Les archives étaient aménagées dans le nouveau local où elles
devaient rester jusqu'en 1957 et un auxiliaire permanent leur était affecté.
Esprit brillant, ancien secrétaire du théâtre des Mathurins, Gabriel Esquer manifesta
lui aussi en cinq ans une activité débordante. Il fit paraître l'inventaire de la
série E commencé trente ans plus tôt, celui de la série C, celui des archives communales
de la ville d'Aurillac et amorça le premier tome de la série L. On lui doit la réintégration
de la plupart des cahiers de doléances et le transfert après 1905 des archives de
l'évêché et du chapitre de Chaudes-Aigues.
Gabriel Esquer participait à toutes les activités culturelles, devenant tour à tour
critique d'art, critique littéraire, polémiste, sans abandonner pour cela ses recherches
érudites. Il quittait Aurillac pour Alger au début de 1909.
Ernest Delmas et Léonce Bouyssou : deux Cantaliens au service des Archives du Cantal
En février 1909 arrivait Ernest Delmas, Cantalien d'origine, qui devait rester quarante
années archiviste du département et devenir une personnalité unanimement appréciée.
Il reprenait aussitôt le classement et le dépouillement des fonds révolutionnaires
et en publia très vite un répertoire et un premier volume d'inventaire.
Pour intégrer commodément les dons et acquisitions il créa une série F intitulée Mélanges
(aujourd'hui close et suivie de la série J), amorça le classement des minutes notariales,
des papiers concernant les biens nationaux ainsi que de certains fonds judiciaires
anciens.
Mais ce dont il faut être le plus reconnaissant à Ernest Delmas, c'est d'avoir osé
s'attaquer aux archives "modernes", autrement dit aux versements provenant des diverses
administrations depuis le début du XIXe siècle, négligés par ses prédécesseurs. Il
organisa cette masse informe, créant les différentes séries prévues par le cadre de
classement de 1841 : à son départ en 1949 elles étaient toutes accessibles grâce à
des répertoires topographiques que l'on utilisa jusqu'à la mise en service des fichiers
actuels. Il reçut en 1926, à l'occasion de la réforme des tribunaux, d'importants
versements judiciaires et, manquant de place, obtint la création d'une annexe dans
les anciens locaux des archives au palais de justice.
Grâce à ces vastes travaux de classement poursuivis pendant des décennies - sauf l'interruption
de la guerre de 1914-1918 - il était plus facile à son successeur, Mlle Léonce Bouyssou
(décédée en 2004), d'abord bibliothécaire à la Bibliothèque nationale puis à Carpentras,
d'y voir clair. La tâche était dès lors de les perfectionner avec l'aide d'un personnel,
certes encore insuffisant, mais plus nombreux, et de passer au stade d'une information
plus méthodique, ce qui fut facilité par les installations fonctionnelles du nouveau
dépôt ouvert au public en 1957, au bout de la rue du 139e régiment d'infanterie, en
bordure du haras et de la cité administrative installée dans les casernes désaffectées
après 1919.
Plusieurs instruments de recherche ont été menés à bien, soit imprimés (t. 2 de la
série L, séries G, M et S), soit dactylographiés (séries V, T, B, Q, fonds Jean Delmas),
les fichiers et index ont été multipliés.
Les trois décennies d'administration de Mlle Bouyssou (1949-1982) furent celles qui
virent le passage des services d'archives départementales du temps de l'érudition
confidentielle à faibles coûts et moyens à celui de la gestion de versements massifs
d'archives contemporaines et de l'accueil d'un public usager régulièrement plus nombreux
et divers. La nouvelle salle de lecture des Archives départementales, ouverte au public
en 2006, porte son nom en hommage à son travail et à sa personne.
Depuis 1982 : extension des bâtiments, accroissement des fonds, informatisation
Mlle Catherine Marion, de 1982 à 1989, sut sensibiliser l'autorité départementale,
chargée des archives départementales de par la loi de juillet 1983, à la nécessité
d'aménagements progressifs destinés à assurer aux usagers des lieux de recherche plus
vastes, puis à celle d'un doublement de la capacité de stockage du dépôt (de 9,5 à
19 km linéaires), au moyen d'une construction neuve élevée de 1987 à 1989. Le personnel
y trouva des locaux de travail adaptés à l'exécution de ses missions de traitement
des archives tant contemporaines que modernes et anciennes.
Jean-Eric Iung, de 1990 à 2003, déploya une action très énergique de collecte, de
classement et d'inventaire des archives publiques (notaires, communes, administrations
de l'Etat) comme privées (Vacher de Tournemine, La Ronade, Ribier), anciennes (série
H) comme modernes. L'informatisation du service, à partir de 2000, améliora la gestion
des magasins et de la salle de lecture. Une active politique d'exposition et de publication
augmenta le rayonnement intellectuel des Archives départementales.
En 2004, l'intégration aux Archives du Centre Joseph-Canteloube permit d'ouvrir une
section d'archives audiovisuelles. L'ouverture au public de la nouvelle salle de lecture,
dotée de 40 places et située en rez-de-jardin, répond aux besoins des chercheurs.
L'objectif du Guide virtuel auquel le présent texte sert d'introduction est de donner
accès aux internautes à une salle de lecture virtuelle, ouverte sans interruption,
où ils seront susceptibles de préparer leurs recherches grâce aux instruments de recherche
at de commencer, grâce aux documents numérisés.