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Note biographique sur André-Jacques Dunoyer de Segonzac
Né à Paris le 17 novembre 1915, d'Alphonse, archiviste paléographe aux Archives Nationales,
et d'Angèle née Piat. Son ascendance paternelle est celle d'une vieille famille noble
du Quercy, rurale et peu fortunée, dont de nombreux membres font à partir du XIXe
siècle des carrières assez brillantes. Son ascendance maternelle est bourgeoise, jadis
prospère mais pratiquement ruinée lors du mariage d'Alphonse Dunoyer et d'Angèle Piat.
Ses parents séparés sans divorce, André grandit avec sa mère. Il arrive à Marseille
en 1922.
Etudes secondaires au Lycée Thiers. Interrompues pendant deux ans à la suite d'un
accident qui lui laisse une jambe atrophiée. Baccalauréat mathématique. Il appartient
pendant plus de 10 ans, bien que catholique pratiquant, au scoutisme protestant.
Reçu à l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, section architecture, en mai 1936.
Après ses premiers travaux scolaires dont les projets sont faits, hors de l'Ecole
Régionale, sous la conduite d'André Devin qui l'avait préparé en trois mois à l'admission,
André Dunoyer de Segonzac s'inscrit, fin 1937, à l'atelier de l'E.N.S.B.A. à Paris
dirigé par R.H. Expert. Les vacances de 1939 le ramènent à Marseille où le maintient
la guerre et où il achève ses études.
La défaite de 1940 voit affluer sur Marseille un grand nombre d'étudiants en architecture.
André Dunoyer de Segonzac prend, avec M. Boyer et F. Margaritis, l'initiative de rencontrer
Eugène Beaudouin, célèbre architecte et jeune "patron" que l'exode a conduit dans
sa propriété d'En Vau, près de Cassis. Cette rencontre permet la création d'un atelier
d'architecture dirigé par Beaudouin, installé, d'une part à Marseille dans les locaux
réquisitionnés de l'Ecole des Beaux-Arts, d'autre part à Oppède-le-Vieux dont l'animateur
est B. Zehrfuss (Grand Prix de Rome 1938). Cet atelier, entre 1940 et 1943 notamment,
fut le siège d'une activité exceptionnellement brillante.
Diplômé en mai 1942, André Dunoyer de Segonzac épouse le 10 juillet de la même année
Janine Maille dont il aura quatre enfants.
Il est, par ailleurs, collaborateur d'E. Beaudouin à partir de janvier 1941 pour l'étude
du plan directeur de Marseille. L'étude de plans de détail est par ailleurs confiée
à de jeunes architectes (aménagement du paysage de l'autoroute dans la vallée de l'Huveaune
par A. Chryssochéris, aménagement d'un parc entre l'arrivée de cette autoroute et
de la plage du Prado par Léon Hoa, arrivée de l'autoroute Nord formant le "Cours de
Paris", la nouvelle place d'Aix et la liaison avec le Vieux-Port par F. Pouillon et
F. Margaritis, projets de rénovation, extension, création des cimetières de la Ville
de Marseille par André Dunoyer de Segonzac). La tragique affaire de l'évacuation et
de la démolition des vieux quartiers du Vieux-Port vint frapper d'une sorte "d'interdit"
tous ces projets. Pourtant les prévisions de Beaudouin pour ces quartiers, antérieures
à cette opération, ne comportaient que des interventions limitées de "curetage" qui
ne déterminaient en rien ces démolitions et, est-il besoin de le dire, n'envisageaient
en aucune manière l'expulsion de la population alors qu'il s'agissait au contraire
d'en améliorer les conditions de vie.
A la Libération, André Dunoyer de Segonzac est chargé de l'établissement des plans
de reconstruction et d'extension de La Ciotat, Cassis et Aubagne. En association avec
Chryssochéris, Devin, Egger, Hoa et Pouillon, il réalise un projet d'urbanisme pour
la reconstruction du Vieux-Port et l'aménagement des terrains vagues situées derrière
la Bourse et la rénovation des quartiers entre ces terrains, la place d'Aix et la
"Butte des Carmes" (projet qu'il a toujours estimé urbanistiquement très au-dessus
de ce qui a été réalisé). Avec la même équipe, il fait deux projets d'un ensemble
de logements sur deux emplacements successifs dans la zone du quartier du Vieux-Port
immédiatement au sud de la Place de Lenche. R.H. Expert, son ancien chef d'atelier,
étant architecte en chef, André Dunoyer de Segonzac lui demande, par référence pour
A. Devin, que celui-ci soit désigné comme chef de leur groupe. Enfin, il réalise avec
André Devin, R. Bondon et Hèrieis, le groupe XIV du Vieux-Port (dont il assure, seul,
l'étude et la réalisation des immeubles EFG) et le groupe I (où il n'intervient pas
en fait).
Pendant l'étude de ces immeubles, André Dunoyer de Segonzac concourt avec Pierre Dupré,
L. Hoa et J. Lafont, pour la réalisation d'un hôpital à Arles (sans succès) puis,
en septembre 1947 avec P. Dupré, pour la basilique de N.Sa de la Altagracia en République
Dominicaine dont ils sont les lauréats. Ce qui les engage, André Dunoyer de Segonzac
en particulier, dans un long processus de déplacements (le premier de décembre 1948
à fin février 1949) et de mise au point du projet.
André Dunoyer de Segonzac et P. Dupré, associés à P. Vago, font le premier concours
lancé par le Ministère de la Construction pour la réalisation d'un "grand ensemble"
(600 logements à Strasbourg-Port du Rhin).
E. Beaudouin en est le lauréat avec un très beau plan d'ensemble.
L'équipe André Dunoyer de Segonzac, Dupré, Vago obtient un cinquième prix pour leur
projet qui vaut plus par ses originales dispositions d'implantation que par sa facture
(hâtive). Les bâtiments y délimitaient et cernaient des espaces articulés entre eux
alors que les autres propositions recourraient à des barres, des plots, des tours
dans un espace indéterminé.
Ces dispositions sont à l'origine de diverses études successives d'urbanisme faites
pour le ministère de la Construction (ou de l'équipement) : Le Mans-Ronceray, Saint-Gabriel,
Montredon, à Marseille et de l'ensemble du Plan d'Aou pour les CIL.
A cette époque André Dunoyer de Segonzac est élu par les étudiants de l'Ecole Régionale
d'Architecture de Marseille pour diriger leurs travaux en "tandem" avec A. Hardy (qui
avait succédé à G. Castel) avant d'assurer pleinement le rôle de chef d'atelier.
La période qui s'écoule entre la fin des travaux des immeubles E.F.G. et 1954 est
consacrée à l'élaboration progressive du projet de la basilique dont l'étude de réalisation
a été demandée en 1949 et à quelques études (infructueuses en raison du séjour André
Dunoyer de Segonzac en République Dominicaine pendant tout le premier trimestre 1952).
André Dunoyer de Segonzac réalise néanmoins la transformation de fond en comble (en
conservant les boutiques à rez de Chaussée !) de six immeubles anciens contigus pour
constituer l'Hôtel du Roi René (aujourd'hui Résidence du Vieux-Port). C'est une période
de "vaches maigres" où le cabinet ne tient que grâce au dévouement des collaborateurs
(R. Dabat en particulier).
L'année 1954 voit par contre le début de la réalisation d'un grand immeuble de 20
étages (Bel Horizon I le premier de ce genre en France dans le cadre des financements
"Logécos"), le début des travaux de construction de la basilique de la Altagracia,
l'étude d'un ensemble d'immeubles avenue Cantini qui se réalise en 1956-1957, l'étude
de divers grands ensembles (Sanderval, La Sauvagère), la réalisation de la Villa Caparo
(F. Boucobza, collaborateur). R. Dabat, H. Sauvaire, H. Vincent créent avec André
Dunoyer de Segonzac leur bureau d'études techniques (B.E.R.T.) en vue d'assumer le
calcul et la réalisation de tous les documents d'exécution, notamment pour l'ouvrage
très élaboré qu'est la basilique.
La période 1956-1959 est pour André Dunoyer de Segonzac dominée par la réalisation
de la basilique d'Higüey. Sa famille réside en République Dominicaine de 1955 à 1957
et il est, alternativement, pendant deux mois à Saint-Domingue et un mois à Marseille.
Afin d'assurer le contact personnel avec le cabinet (qui prend alors totalement possession
de l'appartement qu'il habitait boulevard Thurner). Afin, aussi, d'assurer une alternance
avec A. Hardy dans la direction de l'atelier de l'Ecole Régionale.
Pendant cette période André Dunoyer de Segonzac se voit confier à Saint-Domingue diverses
études techniques par l'architecte assesseur de la Présidence de la République : H.
Ruiz Castillo (rectorat de l'université de Punta Caucedo). Il réalise également en
1959 un grand avant-projet pour la basilique à N.Sa la bienheureuse Vierge-Reine.
Projet qui n'a pas de concrétisation mais trouvera une extrapolation (passablement
hâtive) dans un projet de concours pour l'église de Syracuse dédiée à N.Sa delle Lagrime,
où ce sont les alliages d'aluminium qui sont mis en jeu de façon innovante. Ce concours
fut remporté par Andrault et Parat, sa réalisation est, encore aujourd'hui, très incomplète.
La fin de la période d'intense construction de la basilique (janvier 1960) permet
à André Dunoyer de Segonzac de résider de façon plus constante à Marseille. Son "absence"
partielle de 1955 à la fin 1959 a compromis la marche du cabinet que dirigeaient en
fait R. Dabat et H. Sauvaire. Ce qui les conduit à mettre fin à leur association et
à l'existence du B.E.R.T. Les dernières interventions de celui-ci sont la réalisation
des plans d'exécution d'un immeuble boulevard Bernabo (pour les C.I.L. des Bouches-du-Rhône)
et de l'immeuble Bel Horizon II, rares affaires subsistant du portefeuille des commandes
prévisibles de 1955.
La technique de réalisation de l'immeuble Bel Horizon II fait alors appel à l'utilisation
d'une charpente métallique légère, incorporée au béton, servant d'armature partielle
et de fixation très précise des coffrages et des pièces de second et tiers œuvre.
Technique nouvelle dite "système D.S." créée par H. Vincent pour l'arc-signal de la
basilique et développée par André Dunoyer de Segonzac.
C'est en partie en raison du côté spectaculaire et performant offert par ce système
qu' André Dunoyer de Segonzac reçoit en 1962 la commande d'un projet architectural
et technique (H. Vincent y collaborant) pour une halle de plus de deux hectares destinée
aux établissements Descours et Cabaud (D.S.K.) à quoi vient s'ajouter la commande
d'un bâtiment de bureaux pour ce même client, ce qui est l'occasion d'emploi d'une
nouvelle version du système D.S.
Une résurgence du projet Sanderval (en sommeil depuis l'été 1958) conduit à l'établissement
d'un projet d'accord préalable, puis d'une demande de permis de construire pour un
important promoteur, qu'un revirement de position de l'autorité municipale rendit
caduque.
La direction départementale de la Construction pour les Bouches-du-Rhône, constitua
vers 1965 un "collège" de quatre architectes conseils, prenant la place des deux architectes
conseils précédents et demanda à André Dunoyer de Segonzac d'en faire partie avec
A. Devin, P. Quintrand, G. Weill. Il s'agissait d'aider les pétitionnaires à orienter
leurs études dans un sens mieux adapté à des objectifs plus généraux (dont il faut
bien dire que la puissance publique n'était pas en mesure de les cerner et moins encore
de les expliciter préalablement, préférant recourir à l'habituelle procédure d'acceptation
/rejet, avec les piteux effets qu'il faut constater !).
Pour pallier en partie cette lacune, le ministère de l'Equipement charge André Dunoyer
de Segonzac d'un plan directeur propre à la région de Marseille-Montredon. Etude que
la Ville de Marseille ne prend guère en considération.
D'autres plans, pour des secteurs voisins (Z.A.C. de Bonneveine) rédigés par l'Atelier
Forum créé par André Dunoyer de Segonzac avec M. Fabre et B. Laville et H. Sylvarder
ont le même sort. Cet insuccès de fait est à origine d'un thème de travail de fin
d'études pour quatre étudiants de l'atelier que dirige André Dunoyer de Segonzac à
l'U.P. d'architecture de Marseille-Luminy (1971) puis les études de groupes (1973-1974)
d'une "Ville-annexe" sur le site du domaine de Luminy.
A partir de 1964-1965, la tâche d'enseignant d'André Dunoyer de Segonzac (qui depuis
son "retour" de Saint-Domingue prend toujours plus de son temps, de ses préoccupations,
de ses réflexions) prend un tour différent.
L'organisation d'une "Propédeutique", fondée sur un régime pédagogique totalement
dégagé du bachotage de la préparation à l'admission à l'E.N.S.B.A., permet progressivement
la mise en place de méthodes complètement nouvelles dans ce domaine. Interconnectant
fortement dès octobre 1967 les disciplines au travers du Dessin de Base avec A. Réau,
de la "Découverte des établissements Humains" (plus tard D.G.H.), des Entretiens sur
l'architecture préparés par des "Notes-Guides", de l'Initiation à la reconnaissance
de la distribution par la forme des contraintes mécaniques sous des charges.
Si les journées de mai-juin 1968 soumettent André Dunoyer de Segonzac à d'intenses
pressions, elles font en fin de compte la preuve de la validité de sa position pédagogique
visant à se situer en phase avec l'approche de l'étudiant, à l'assister dans une fréquente
auto-évaluation de son progrès, mais aussi à refuser tout refuge laxiste. Cependant
sa fonction de Directeur des Etudes ne peut survivre à l'anarchie du moment quels
qu'en aient été les côtés sincères et généreux. André Dunoyer de Segonzac consacre
ses efforts au fonctionnement du premier Cycle notamment avec J. Verdeuil et V. Janovitz
: coordination d'enseignements, examen critique sérieux (avec P.V. des travaux dont
les traces concrètes existent dans deux recueils de notes polycopiées d'alors).
Présent au Bureau de la "Conférence Générale des Unités Pédagogiques d'Architecture"
(1968-1971) et Conseil de Gestion qu'il préside avant d'être élu au Conseil Supérieur
de l'Enseignement (membre de sa commission permanente) il a, au travers de ces multiples
fonctions, la possibilité de cerner mieux les obstacles à une évolution positive de
l'enseignement. Les promesses de 1967 sont loin ! Ne parlons pas des illusions de
1968 !
La conduite de ses affaires libérales devient de plus en plus malaisée, en raison
de la médiocre conjoncture marseillaise sans doute, mais surtout du fait de ces charges
multiples liées à l'U.P. où il crée et assume de nouveaux et nécessaires enseignements
(Second œuvre dans la construction, "théorie" de l'architecture, cours d'Aménagement
urbain).
A cela s'ajoutent quelques tâches diverses.
Initiateur et administrateur de la Société de Sauvegarde du Couvent Royal de Saint-Maximin
et du Collège d'Echanges Contemporains qui voit alors tant de séminaires studieux
de l'Institut Méditerranéen d'Urbanisme (qu'il a créé et animé pendant deux ans) et
de l'Université Permanente d'Architecture et d'Urbanisme (créée par P. Quintrand).
De sorte qu'après l'étude de la réalisation d'un grand ensemble du Plan d'Aou (avec
R. Dabat), de deux groupes d'habitation (Sainte-Catherine 1968-1970 et Saumaty 1969-1972),
d'un immeuble locatif de bureaux (1973), d'un ensemble de 40 studios à la montagne
(Hameau de Merlette-Sud 1966-1969) et quelques études vaines, André Dunoyer de Segonzac
après de nouvelles palinodies administratives paralysant simultanément trois opérations,
se résout à mettre fin à l'existence de son cabinet, donnant à ses collaborateurs
le temps d'un recasement convenable.
Il ne s'occupe plus, dorénavant, en relation avec ses tâches d'enseignement, que de
rares commandes de vieux clients en collaborant avec de jeunes confrères qui ont été
ses élèves : transformation d'une partie des halles puis des bureaux de Descours et
Cabaud, création d'un centre de soins corporels et de résidence hôtelière à Cassis,
esquisse de réaménagement du site de Méjanes le Clap (Gard), projet de création d'une
base de loisirs puis d'un complexe zone d'activité-loisirs à Signes (Var)
Ses activités au sein de l'U.P.A.M. lui permettent cependant d'associer ses recherches
et celles de ses assistants aux travaux des étudiants travaillant dans son atelier
: projet de création et disposition urbanistique et architecturale d'une "Ville annexe"
à Luminy ; trois projets de concours pour le quartier de la République à Angers ;
projet de concours international pour la bibliothèque nationale à Téhéran.
Le projet pour le concours sur le Ministère des Finances à Bercy, s'il est également
réalisé avec un groupe de jeunes diplômés issus récemment de son atelier, se fait
en dehors du cadre de l'Ecole.
En effet son départ à la retraite en octobre 1981 après 29 ans d'enseignement, le
conduit à avoir une activité de Conseil de collectivités publiques ou d'organismes
semi-publics. Participant à des Commissions techniques ou à des jurys, rédigeant des
programmes pour d'importants concours et des analyses sur le déroulement de telles
opérations.
Membre à deux reprises du Conseil Régional de l'Ordre des Architectes (P.A.C.A.) puis
élu à l'Académie d'Architecture (dont il est au Conseil), correspondant de l'Académie
des Beaux-arts, Institut de France (à laquelle il fait le 14 mai 1986 une communication
sur "50 ans d'enseignement de l'architecture") ; il succède dans ces cas à A. Devin
son professeur. Il reçoit en 19 le prix Jean Roque de l'Académie de Marseille.
Avec C. Oppetit et J. Bonillo, il crée l'association "Archives d'Architecture et d'Urbanisme
du XXe siècle, pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur".
Désireux de ne pas couper sa réflexion, concrétisée par de nombreux textes sur l'aménagement
urbain, de l'activité essentielle de projet qui, seule, donne leur place aux analyses
et aux concepts qu'on en dégage, André Dunoyer de Segonzac vient de réaliser (juin
1989) avec deux jeunes confrères (Evelyne Marquet-Dunoyer et Pascal Costamagna) un
projet de concours pour la "Bibliotheca alexandrina" à Alexandrie d'Egypte.
Quelques notes d'André Dunoyer de Segonzac
Dans la mesure où cela permet de mettre en situation une consultation du fonds, je
m'efforce ci-après de cerner les caractéristiques dominantes de mes travaux.
Buts, espoirs, hasards et vicissitudes
Ma carrière, si l'on veut bien nommer ainsi ce qui a résulté de bien des choses, est
hors de ce que je pouvais attendre et, en tous cas, du but, qu'enfant ou pré-adolescent,
je me fixais.
Mon ambition déclarée (était-elle profonde ?) était de devenir officier de marine.
Mon cursus secondaire ne paraissait pas promette d'obstacle majeur à cet objectif.
L'accident dont je fus victime à 15 ans, en interrompant mes études pendant deux ans
et en me laissant un notable handicap physique, mettait fin à ces ambitions. Je repris
mes études sans perspective. Ce n'est qu'après avoir passé un bac maths que mon professeur
de mathématiques du lycée, monsieur Bertrand qui enseignait aussi à l'Ecole d'architecture
(première intervention décisive du hasard), me suggéra, devant mon incertitude, de
m'inscrire au cours préparatoire à cette école. Il pronostiquait que mon niveau mathématique
(borgne au milieu d'aveugles) et en dessin permettrait une admission rapide.
La rencontre d'A. Guez, me proposant de travailler en sa compagnie chez A. Devin,
fut une nouvelle manifestation de hasard heureux. Qui donna toute sa valeur à la prédiction
de M. Bertrand puisque j'obtins mes notes de base aux épreuves d'architecture, au
bout de moins de trois mois de préparation intense par A. Devin. La capacité en dessin
et en mathématiques fit le reste grâce, en particulier, à une note exceptionnelle
obtenue à l'oral.
Une vocation tardive donc ! Et précédemment indécelable.
Et, pourtant, aussitôt qu'engagé dans cette voie, grâce surtout à André Devin, je
m'y trouvais non seulement à l'aise mais conscient que c'était là plus que l'entrée
dans un métier, que cette voie était autre chose même que l'exercice d'une activité
créatrice telle que la peinture, la sculpture ou la musique, si je n'étais pas en
mesure de la définir. Ce que je pressentais c'était sa complexité organisée, le concert
d'actes étrangers les uns aux autres concourant à produire un tout, que l'architecte
était compositeur et chef d'orchestre ou il n'était rien, que sa "musique" fut humble
ou grandiose. Je ne disais rien dans ces termes mais la lecture, de hasard encore,
de "Vers une Architecture" trouvé chez un bouquiniste des quais dévoilait des choses
essentielles et le pouvoir de Le Corbusier.
Des hasards heureux se sont multipliés se sont multipliés (mais s'agit-il de hasards
ou de rencontres orientées par des affinités ou des complémentarités ?) : Pierre Dupré
étudiant dont la maturité de talent et la culture étaient très au-dessus de ce que
pouvaient offrir nos condisciples ; F. Pouillon, dont l'intelligence avait une séduction
satanique mais réelle et dont j'ai toujours voulu reconnaître les qualités malgré
les "tours de vache" qu'il savait si bien servir à chacun. Mais, surtout, E. Beaudoin
au moment où il était au faîte de la gloire où l'avaient placé ses œuvres en association
avec Lods, Prouvé et Bodiansky, déformation de quelques types de structures, complétant
ainsi la traduction que je fis de l'édition espagnole d'un ouvrage remarquablement
illustré de Engels : Systèmes de structures.
La participation au bureau de la section Promoca de Provence-Côte d'Azur, que j'ai
présidé pendant deux ans, m'a amené à réfléchir à la fois sur la richesse que comporte
la méthode, proposée par l'institution, d'autoprogrammation et d'auto-évaluation,
sur son inadaptation à la quasi-totalité des cas que j'ai pu observer de près et sur
sa validité dans d'autres circonstances.
Si l'autosatisfaction et les regrets sont stériles on peut, comme une sorte de purgation
dernière, se demander ce qu'on déplore et ce dont on s'enorgueillit dans sa vie professionnelle.
Ce qui, pour mon cas, ouvre deux volets : la carrière de l'architecte praticien, celle
de l'enseignant.
Ce n'est pas l'insuffisance de notoriété qui peut me décevoir dans le premier cas.
Je suis même assez porté à m'étonner qu'elle soit ce qu'elle est avec si peu d'efforts
pour la soutenir et, somme toute, si peu de travaux réputés.
Entré tôt dans la vie active libérale et marié, je renonçais de fait à tenter de concourir
pour un Grand Prix de Rome, mais à vrai dire je ne me suis jamais cru bâti pour cette
compétition, du moins telle qu'elle existait.
C'est plutôt du côté de mes travaux que le bât me blesse, non en raison de leur nombre
limité mais de leur qualité.
Travail aux limites du misérable -toujours- ce dont je me suis fait souvent un point
d'honneur que je trouve aujourd'hui ridicule en considérant ce que cette pauvreté
entraîne à terme de gênes et de dépenses.
Travail parfois stupidement enfermé dans des contraintes de normes d'exigences ou
financières fragmentaires et mal arbitrées, dans des conditions de passation de marchés
conduisant à l'irrémédiables et dispendieuses sottises et dont la responsabilité ne
retombe jamais sur ceux qui édictent, définissent ces processus, créent ces conditions.
Au point qu'il ne m'a jamais été possible en France dans toute ma vie professionnelle,
d'entreprendre et conduire à terme un seul ouvrage pour lequel les moyens financiers
affectés et ma liberté de manœuvre aient permis de conduire à très bonne qualité.
Et cela alors que le coût final se trouvait grevé d'exigences pseudo-techniques sans
effet réel et de marges financières franchement parasitaires. Phénomène qui n'a jamais
cessé de s'accentuer depuis la période de la Reconstruction.
Dois-je dire, très objectivement, que plus nombreuses ont été les assistances techniques
qui m'ont été adjointes par le maître de l'ouvrage ou par l'administration, plus nombreux
et plus graves ont été les contentieux.
De sorte que la construction de la Basilique de N. Sa de la Altagracia à Saint-Domingue,
aujourd'hui cathédrale d'Higüey, m'apparaît comme une aventure miraculeuse, mon petit
coin de paradis dans un purgatoire d'architecte !
Recherches pédagogiques
Tôt amorcées et balbutiantes dès mes premières années d'Ecole et nourries des lectures
des livres de Le Corbusier (dont l'apport allait bien au-delà de la seule dimension
polémique), ce discours, d'abord intime, sur l'architecture a pris une forme plus
concrète dès que, rentré de Saint-Domingue, je m'assignai la charge de la refonte
de la formation des étudiants débutants.
D'une part, les notes préparatoires aux entretiens hebdomadaires de groupes d'une
quinzaine d'étudiants de premier cycle avec quelques artistes ou curieux, formèrent
un recueil très abondant sous le titre N.G. et qui a été l'objet de quatre éditions
successives, complétées chaque fois :
Polycop "Japy" 50 exemplaires vers 1965
Polycop Offset 100 exemplaires (1966)
Edit. Offset 2000 exemplaires (1967-1968)
Edit. Offset 300 exemplaires (1979)
D'autre part, des recherches documentaires sur l'enseignement de l'architecture avec
visites, dans diverses parties du Nouveau Monde [U.S.A. (1956) ; Venezuela ; Pérou
; Brésil (1958) ; Canada (1968)] qui ont fait l'objet de rédaction de notes.
- Proposition de programmes détaillés (objectifs, méthodes, planning) pour la "Propédeutique"
d'abord puis pour la seconde année soit, l'ensemble du premier cycle d'études.
- Projet d'organisation d'un atelier de pratique opérationnelle de Troisième cycle,
puis de fondation pour la formation à de nouvelles pratiques de l'architecture.
- Communication à l'Institut de France (Académie des Beaux-Arts sur "50 ans d'enseignement
de l'Architecture").
- Communication à la Société Française de Sociométrie "De la formation à la maîtrise"
Plus simplement j'ai assuré et l'exposé et la rédaction de cours divers, inexistants
jusque-là : le second œuvre dans la construction ; rédaction et diffusion à l'intention
des étudiants suivant les cours de "Théorie de l'Architecture" de notes de lectures
sur : l'histoire de l'architecture, l'histoire de l'urbanisme, les théories de l'architecture,
les théories de l'urbanisme, portant plusieurs traductions et réunies en 4 livrets.
Enfin, j'entrepris, à l'appui de quelques exposés à U.P.A.M., le confection de notes
illustrées montrant le comportement en œuvres extraordinairement novatrices et hardies.
Beaudouin dont je découvris à la fois la prestance et la timidité, la gentillesse
et la générosité pour nous et une certaine mollesse à décider, l'ampleur de son talent
de conception générale et son médiocre intérêt pour les niveaux seconds de l'étude.
Beaudouin qui, peut-être, m'apporta par son exemple autant en négatif qu'en positif.
Mais au-delà de ces hasards, il y eut d'autres vicissitudes où je ne puis démêler
l'heureux de malheureux.
Par exemple, l'étude et la réalisation de la basilique de N. Sa de la Altagracia,
incontestable bonheur pour Dupé et pour moi (par le succès au concours international,
par les voyages lointains -moins banals alors qu'aujourd'hui-, les conditions exceptionnelles
de liberté et de confiance qui nous furent accordées). Tous ces bonheurs furent, aussi,
à l'origine de déceptions en France. Mes absences de Marseille, aussi brèves qu'elles
aient pu être, furent mises à profit par quelques confrères (parfois ami !) tentant
ou réussissant à "récupérer" des affaires engagées par moi (le chasseur qui perd sa
place...) : Saint-Gabriel, La Sauvagère, La Foux de Saint-Tropez Port-Grimaud...
L'enseignement de l'architecture fut aussi un champ tellement prenant qu'il fit obstacle
à une réussite professionnelle.
Mais on ne saurait négliger des traits de caractère qui m'ont plus qu'une fois créé
des oppositions ou aliéné des sympathies. Une longue timidité surmontée m'a conduit
à l'habitude de manifestation tranchante, non déguisée, d'opinions. Ce qui n'est pas
la voie aisée des rapports à autrui !
Ce n'est sans doute pas un effet de hasard si c'est par le choix des étudiants et
non de confrères que j'ai été porté à la fonction de chef d'atelier, puis de Directeur
des Etudes, avant que ne se développent les luttes internes, à prétextes pédagogiques
inconsistants, masque de dérisoires ambitions de simple notoriété.
Etudes et réalisations
Une profession amorcée aussi décisivement, par d'ambitieux et parfois quelque peu
utopiques travaux d'urbanisme, soit pour Beaudoin, soit à son initiative généreuse,
soit pour le Ministère, ne pouvait après l'urgence de la Reconstruction se développer
qu'en rentrant dans la machine administrative qui se façonnait alors. Un bref essai,
à mi-temps, en réponse à une offre de G. Meyer-Heine, me dissuada de me situer de
cette manière. Absence, inévitable, de grandes perspectives où même les plans de détail
prévus disparaissaient au profit du flou opportuniste qui naît des formules abstraites
des règlements.
Or il était normal, qu'après la longue "diète" des années d'avant-guerre et la "famine"
de l'occupation, on veuille réaliser. La reconstruction, puis très vite pour moi,
le concours gagné à Saint-Domingue, conduisaient mes efforts vers l'architecture effectivement
bâtie.
Recherches techniques
Ce qui n'était pas nécessairement dans le fil de ces travaux concrets, c'était le
souci d'approfondir mon savoir. Et c'est alors bien plus dans le domaine des techniques-réponses
que dans celui de la mise au clair des demandes, des besoins-programmes que ma réflexion
se fit.
La capacité mathématique de l'adolescence a sans doute contribué à développer un certain
mode de penser et une certaine méthode, mais aussi a très littéralement resurgi pour
proposer des "outils conceptuels", inédits dans ce domaine bien que simples :
- conscience qu'une propriété de la forme donnée à une quantité donnée de matière
peut confèrer à celle-ci une capacité mécanique et spatiale très performante.
- avantage d'une définition géométrique rigoureuse permettant une concrétisation plus
exacte qui peut concorder exactement avec la précision de calcul nécessaire à l'excellence
de performance technico-économique.
- recours à la géométrie analytique, cernant avec une extrême rigueur par une série
de simples équations du second degré des faisceaux de ligne multiples (de l'arc-signal,
par exemple).
Ceci conduisant à des propositions assez exceptionnelles par leur élégance, comme
le projet pour la grande halle de Casablanca qui, malheureusement, buta sur l'incapacité
d'un bureau de contrôle local d'en ramener l'équilibre à un des cas connus de lui.
Une autre retombée des recherches techniques, née de circonstances très concrètes,
c'est la création du "système D.S.".
Il est issu d'une proposition d'Hubert Vincent, ingénieur associé à nous dans le cadre
du BERT en vue d'une réalisation aisée et rigoureuse du complexe Arc-Signal. C'est
une association du béton et d'une charpente métallique très légère servant de guide
à la pose de coffrage et travaillant comme partie de ferraillage de ce béton-armé.
Après cette application première et spectaculaire le système trouva par AJDS divers
emplois adaptés à des cas très différents : immeuble B.H. II, F.P.R.Z., bureau DSK,
Hôtel à Ajaccio, projets pour des logements à semi-autoconstruction à très bas prix
pour Santiago du Chili, ou pour un terrain à pente abrupte dans le Var (Hauts de Bras)...
Recherche de sémiologie architecturale
Mes recherches ne pouvaient se borner à de tels aspects technologiques, l'architecture
étant une discipline générale dépassant la simple production utile du bâti. Après
que je me sois interrogé sur la validité sociale et l'étendue des besoins exprimés,
je me suis clairement rendu compte qu'elle se doit d'avoir des propriétés de signification,
plus ou moins riches mais toujours au moins accessible à l'un de ses niveaux. Propriétés
qui peuvent s'appliquer depuis l'objet le plus humble jusqu'à l'organisation de l'image
claire, reçue de façon générale, échangeable et, ainsi prenant sens, de l'ordre spatial
de la ville.
Par ailleurs, succombant aux démons de la tradition centralisatrice, l'administration
s'efforça sans cesse de dicter un "cadre commun" au lieu de le dégager des pratiques.
Les réunions inter-UP qu'elle suscita dans ce but ne pouvaient que déboucher sur des
affrontements et/ou sur une liste d'intitulés de matières sans substance précise ou
peu intégrables dans des cursus un peu fermement dessinés. Le résultat fut que les
sciences de l'homme et que les sciences exactes restèrent en marge, s'autonomisèrent
même parfois, perdant à peu près toute chance d'enrichir le champ d'idées à mettre
en jeu par l'architecte.
A l'analyse, "l'autonomie" déclarée apparaît finalement comme un "truc" permettant
à la structure administrative centrale de n'assumer ni sa tâche ni ses responsabilités.
Elle gère des effectifs, sans but, une quantité sans objet. Ce qui suffit d'ailleurs
à la submerger donc à la justifier.
Les efforts faits de 1965 à 1968 avec quelques uns des rares enseignants dont disposait
alors l'Ecole de Marseille (dont tout particulièrement A. Reau), pour établir un projet
pédagogique complet (objectifs, processus et méthodes, innovants mais soigneusement
testés), se sont révélés remarquablement positifs dans les années 1967-1970 pour le
premier cycle d'études de deux ans. Ils n'en furent pas moins en butte aux attaques
d'enseignants néophytes, recrutés en hâte, souvent en fonction d'une disponibilité
créée par la raréfaction de la commande ou frais émoulus. La jeunesse de certains
paraissant devoir les prémunir contre les routines de la "vieille école". Or il s'avéra
que s'ils n'avaient pas le "savoir faire" routinier des "vieilles barbes" ils prolongèrent
souvent, sous quelques couleurs neuves, les plus nocifs des procédés de l'ENSBA (absence
intérêt analytique, appréciations globales et de "goût").
Cela n'aurait peut-être été que péripétie si ça n'avait conjugué la médiocrité agressive
de quelques uns, l'inertie confortable de certains autres avec les conditions nationales
que je viens de dire.
Si on ajoute encore le jeu d'une direction administrative souvent attentive à diviser
pour se donner l'illusion de régner, on ne s'étonnera pas de l'usure des volontés
et de la réduction des établissements à un état proche de l'auberge espagnole. Des
lieux où l'étudiant a à faire par lui-même son miel de ce qu'il peut butiner, ici
et là. Ce qui ne signifie pas qu'il n'y ait parfois de succulente provende.
Même les efforts que, durant un temps, fit l'Union des Syndicats Français d'Architectes
à l'égard de l'enseignement (par Michel Dameron qui fit une tournée d'information
dans les UP), même ces efforts restèrent vains car ils s'opposaient à la fois à la
structure centrale, jalouse de ses prérogatives, et à bon nombre de nouveaux enseignants
et au SNESup qui récusaient par principe idéologique la profession libérale et ses
structures représentatives.
La volonté des individus et de ces organismes de ne pas analyser le problème ni de
déceler la réalité de leur responsabilité propre, afin de conserver le confort de
leur situation, permettait de masquer leur "indignité ressentie" par une mise en cause
floue des "autres". Ce qui n'est pas propre à ce milieu bien que celui-ci soit particulièrement
tenté par un anarcho-poujadisme qui prend force d'un vrai phénomène de société.
Ces activités d'architecte et d'enseignant pourraient apparaître comme ayant occupé
toute mon existence, ce que corroborerait l'absence de "hobby", même de ceux qui sont
(ou plutôt furent) familiers aux architectes tels que la peinture.
Il me faut indiquer cependant que je fus :
- Membre du Conseil Régional de l'Ordre à deux reprises,
- Fondateur et administrateur de diverses associations à buts culturels (Institut
Méditerranéen d'Urbanisme, Centre d'Echanges Contemporains du Couvent Royal de Saint-Maximin,
Association pour le Développement et l'Urbanisme en Afrique),
- Membre élu en 1980 de l'Académie d'Architecture et Correspondant de l'Académie des
Beaux-Arts -Institut de France.
J'ai donné à diverses périodes à ces diverses institutions une part non négligeable
de mon temps. J'indiquerai qu'au surplus je fondai en République Dominicaine une société
d'importation de voitures françaises jusque là inconnues dans ce pays. Cette activité
créa, à ma femme et à mes enfants, des ressources que mon activité d'architecte grignota
pour partie !
A.J. DUNOYER DE SEGONZAC
Saint-Rémy-de-Provence,
le 24 juillet 1989
Les documents décrits dans cet instrument de recherche ont été rédigés en français .